Dès lors que l’acte qui lui est requis de recevoir comporte une convention frauduleuse, contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, le notaire se doit de refuser son ministère.
Le refus d’instrumenter peut entraîner l’application de sanctions disciplinaires ou engager leur responsabilité civile. Les motifs de refus sont rarement admis (en cas de maladie justifiée, par exemple). En outre, le fait de demander l’intervention un dimanche, un jour férié ou à une heure tardive ne peut justifier un refus lorsque la demande est exceptionnelle et imposée par l’urgence (testament pour une personne gravement malade, par exemple).
Ainsi le refus d’instrumentation ne peut être opposé par le notaire que lorsqu’il s’agit de cas exceptionnels, et, en dehors de ces cas spécifiques, le notaire ne peut se refuser d’instrumenter.
Ainsi un notaire ne peut refuser d’instrumenter au seul motif que l’acquéreur ne lui a pas remis un chèque de banque en paiement du prix, cette recommandation des instances n’ayant aucun caractère d’ordre public (Cass. 1re civ., 15 févr. 2005, nº 03-10.946, Bull. civ. I, nº 82, JCP N 2005, nº 35, p. 1363, pour un refus de considérer le notaire responsable).
Il ne peut non plus refuser d’instrumenter au seul argument qu’il ne partage pas les choix juridiques ou fiscaux pris par l’une des parties. Un notaire ne peut en effet se substituer aux juges (civils ou de l’impôt) en imposant à ses clients ses propres choix, hors le cas de fraude, il doit suivre les choix des parties.
Bien évidemment, il doit veiller, dans le cadre de son devoir de conseil à ce que son client soit parfaitement informé de ses choix et des risques et conséquences qui pourraient résulter de ceux-ci. Le choix des clients doit être éclairé, c’est ainsi l’une des missions essentielles des notaires qui leur est imposée par leurs règles de déontologie.
En effet, les notaires, « scribes » modernes des parties, enregistrent leurs volontés, les clarifient sans les dénaturer et enregistrent leurs déclarations respectives. Ainsi, ils assument des fonctions de greffier des parties, tout en assurant une mission pédagogique, afin de s’assurer de la bonne compréhension des parties de leurs actes.
Il résulte clairement des règles s’appliquant à leur profession que :
— les notaires doivent assurer l’application de la loi : « Le notaire doit (…) en assurer l’application » (Règlement national des notaires, Préambule et art. 2, al. 3 et al. 4) ;
— ils doivent expliquer la loi aux parties : « Le notaire doit expliquer la loi » (Règlement national des notaires, Préambule et art. 2, al. 3 et al. 4) ;
— pour ce faire et le faire correctement, les notaires doivent eux-mêmes connaître la loi : « Chaque notaire (…) a le devoir de se tenir informé de l’évolution du droit, de l’économie et de la société. Il a l’obligation d’entretenir et renouveler ses connaissances en participant aux actions de formation organisées notamment par ses instances professionnelles. (…) Il doit faire les efforts nécessaires pour améliorer la qualité de ses services et s’assurer de la satisfaction du client » (Règlement national des notaires, art. 1.2, al. 2) ;
— ils doivent tenter d’orienter au mieux la réflexion des parties : « Il doit choisir les moyens les plus appropriés pour parvenir au résultat désiré par le client, en conformité avec la loi » (Règlement national des notaires, art. 3.2, al. 2) ;
— sans pour autant trahir leur volonté : les notaires sont les « rédacteurs impartiaux de leurs volontés (…) » (Préambule du Règlement national des notaires) ;
— en transcrivant dans leurs actes leurs déclarations, dont le contrôle doit être assuré dès lors qu’existe une possibilité d’un contrôle autonome, notamment lorsqu’il existe une « publicité légale » (Cass. 1re civ., 2 juill. 2014, nº 13-20.576, JCP N 2014, nº 30, act. 847) ; pour un état de catastrophe naturel tu par le vendeur : le notaire qui n’a pas procédé aux investigations nécessaires engage sa responsabilité même vis-à-vis de la partie qui a commis une faute intentionnelle (Cass. 1re civ., 11 janv. 2017, nº 15-22.776, Bull. civ. I, nº 14, JCP N 2017, nº 22, 1191) ;
— enfin, quels que soient les choix des parties, ils se doivent d’instrumenter leurs conventions : « Ils sont tenus de prêter leur ministère lorsqu’ils en sont requis » (L. 25 ventôse an XI, art. 3), « (…) sauf à le refuser : pour l’établissement d’actes ou de conventions impliquant des personnes ne paraissant pas jouir de leur libre arbitre, pour l’élaboration de conventions contraires à la loi, frauduleuses ou qu’il sait inefficaces ou inutiles » (Règlement national des notaires, art. 3.2.3). Un notaire ne peut être condamné disciplinairement dès lors que le caractère frauduleux de la convention instrumentée n’est pas démontré (cass 1er civ 22 Mai 2019, JCP N N° 24 du 14 juin 2019, actualités N° 535)
Les notaires ont donc l’impérieuse responsabilité d’être à l’écoute de leurs clients, et doivent leur donner les conseils les plus appropriés.
Mais, nécessairement, les parties doivent rester libres d’exprimer leurs volontés, et de les voir retranscrites par les notaires dans leurs actes, quelles que soient les considérations des notaires instrumentaires, qui ne peuvent donc imposer leurs propres choix (sauf cas autorisant un refus d’instrumentation).
Il s’agit là du pilier essentiel formant le gage de la bonne exécution par la profession de notaire de son obligation au service notarial et à « la tranquillité publique » rêvée par le conseiller d’État Real.
En aucun cas, dans un État démocratique, épris de liberté, les notaires, de par leur monopole, n’ont la mission ou le pouvoir d’imposer aux parties le contenu de leurs conventions, le consentement des parties s’en trouverait transformé, voire perverti, voire, à l’extrême, vicié.
Pour une illustration de ces obligations professionnelles :
– Cass. 1re civ., 15 juin 2016, nº 15-10.839, Lamyline, où il est reproché à un notaire d’avoir appliqué une disposition fiscale, sans avoir informé un vendeur (ici, une commune) d’une instruction fiscale, dont l’application était certes incertaine ; c’est le client qui, bien informé, devait faire ses propres choix.
– Cass 1er civ 22 Mai 2019 (JCP N N° 24 du 14 juin 2019, actualités N° 535) ou, à l’inverse, le notaire à l’écoute des parties, a appliqué le dispositif fiscal invoqué par le vendeur (exonération de plus-value pour résidence principale dans une caravane), considérant que les conditions d’application étaient réunis. Le notaire ne pouvait être poursuivi en sanction disciplinaires le ministère public n’ayant pas démontré que la caravane n’était pas attachée à perpétuelle demeure.
– Cass 1er civ 22 Mai 2019 (JCP N N° 24 du 14 juin 2019, actualités N° 535) ou également le notaire à l’écoute des parties et de leur convention, a fait une juste application de celle-ci ayant conféré à un chèque « l’usage d’un chèque de garantie » ce qui interdisait son encaissement sauf pour le notaire à commettre une faute professionnelle ; un tel « chèque de garantie », dès lors qu’il respecte les critères strictes consacrés par la jurisprudence (comme c’était le cas en l’espèce) n’est plus « un instrument de paiement », dont l’encaissement se serait imposé au Notaire.
Par Jean-Jacques Eyrolles, Notaire à Aix-en-Provence
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