Terrain à bâtir – TVA sur Marge

Désormais, la nature de « terrain à bâtir » dépend de sa nature objective, c’est-à-dire si le terrain est situé dans une zone autorisant des constructions, et cela indépendamment de la volonté de l’acquéreur.

La vente d’un terrain à bâtir est toujours soumise à la TVA.

L’assiette sera constituée :

— par le prix total, si l’acquisition par l’assujetti lui avait ouvert des droits à déduction de la TVA (c’est-à-dire s’il avait acquis d’un assujetti ou d’un non-assujetti qui avait lui-même acquis le bien en l’état futur d’achèvement) ;

— dans le cas contraire, par la marge brute.

À ce titre, la documentation de base de l’administration fiscale (BOI-TVA-IMM-10-20-20140915, no 20) semble imposer une autre condition : que le bien conserve la même qualification entre l’achat par l’assujetti et sa revente. En d’autres termes, pour les terrains, il faut que le terrain n’ait pas été acquis comme ayant le caractère d’immeuble bâti, auquel cas la TVA applicable lors de la revente serait une TVA sur le prix total. L’Administration impose que dans l’acte d’acquisition une ventilation précise soit indiquée, que chaque partie du bien soit soumise à son régime fiscal, et que chaque terrain soit clairement désigné et identifié en tant que tel, avec précision de ses références cadastrales (ce qui sera impossible en présence d’un simple document d’arpentage ne pouvant être publié qu’au support d’une mutation de la partie considérée, c’est-à-dire seulement lors des reventes) et de sa contenance. Cette position est largement critiquable car elle aboutit à une taxe sur le prix total, sans possibilité de déduction d’une taxe antérieure ; ainsi la taxe n’est plus une taxe sur la valeur ajoutée (voir Libre propos, JCP N 2015, no 47, act. 1100).

Sur cette question, le ministre des Finances a répondu que « s’agissant des dispositions applicables en matière de TVA, l’article 268 du CGI prévoit que la cession d’un terrain à bâtir est soumise à la TVA sur la marge lorsqu’il n’a pas ouvert droit à déduction lors de son acquisition initiale. La mise en œuvre de ce régime dérogatoire au principe selon lequel la TVA est calculée sur le prix total, suppose ainsi nécessairement que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique ». De cette affirmation, le ministre déduit deux situations :

— en cas de division parcellaire intervenue entre l’acquisition initiale et la cession ayant entraîné un changement de qualification ou un changement physique telle une modification des superficies vendues par rapport à l’acte d’acquisition, la taxation doit se faire sur le prix de vente total en application des articles 266 et 267 du Code général des impôts ;

— lorsque la division parcellaire est antérieure à l’acte d’acquisition initial ou qu’un document d’arpentage a été établi pour les besoins de la cession, permettant d’identifier les différentes parcelles dans l’acte, la taxation sur la marge s’applique dès lors qu’aucun changement physique ou de qualification juridique des parcelles cédées n’est intervenu avant la revente (Rép. min. à QE nos 91143 et 94061, JOAN Q. 30 août 2016, p. 7769).

Cependant par une réponse ministérielle du 17 mai 2018 (Rép. min. à QE no 4171, JO Sénat Q. 17 mai 2018, p. 2361), le ministre de l’Économie et des Finances revient sur cette position en abandonnant le critère de l’identité physique, mais en maintenant le critère d’identité juridique : « compte tenu des difficultés d’appréciations suscitées par la publication de ces commentaires sur l’identité physique et afin de rétablir la sécurité juridique des opérations d’aménagement foncier, il est admis, y compris pour les opérations en cours, dans le cas de l’acquisition d’un terrain ou d’un immeuble répondant aux conditions de l’article 268 du CGI qui n’a pas ouvert droit à déduction par un lotisseur ou un aménageur qui procède ensuite à sa division en vue de la revente en plusieurs lots, que ces ventes puissent bénéficier du régime de la marge dès lors que seule la condition d’identité juridique est respectée ». Ainsi désormais il devrait suffire de justifier que juridiquement avant l’acquisition par le lotisseur ou l’aménageur, les terrains étaient qualifiables de terrains à bâtir (déclaration préalable de division ou permis d’aménager, permettant ainsi d’individualiser suffisamment les lots, obtenus avant l’acquisition par l’assujetti) pour que les reventes soient assujetties à la TVA sur marge. Cette réponse a été réaffirmée dans une réponse ministérielle du 24 septembre 2019 (Rép. min. à QE no 1835, JOAN Q. 24 sept. 2019, p. 8300).

Une question similaire s’applique dans le cas d’un bien immobilier bâti acquis par un marchand de biens, qui procède à la démolition du bâtiment, afin de le vendre en terrain à bâtir. Cette seconde hypothèse a été tranchée par un arrêt (CE, 8e et 3e ch., 27 mars 2020, no 428234, Ministère de l’Action et des Comptes publics c/ SARL Promialp, Rec. CE 2020, tables, Constr.-urb. 2020, comm. 65) par lequel le Conseil d’État confirme que la TVA sur la marge ne s’applique pas dans une telle hypothèse, à défaut d’identité de qualification juridique entre le bien acquis et le bien cédé (confirmé par Rép. min. à QE no 30676, JOAN Q 29 sept. 2020, p. 6686, JCP N 2020, no 41-42, act. 824).

Cependant dans une affaire plus récente, le Conseil d’État a saisi la Cour de justice de l’Union européenne sur les questions suivantes (CE, 8e et 3e ch., 25 juin 2020, no 416727, FR 30/20, inf. 4) :

« 1º) L’article 392 de la directive du 28 novembre 2006 doit-il être interprété comme réservant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition a été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée sans que l’assujetti qui les revend ait eu le droit d’opérer la déduction de cette taxe ‘Ou permet-il d’appliquer ce régime à des opérations de livraisons d’immeubles dont l’acquisition n’a pas été soumise à cette taxe, soit parce que cette acquisition ne relève pas du champ d’application de celle-ci, soit parce que, tout en relevant de son champ, elle s’en trouve exonérée’.

2º) L’article 392 de la directive du 28 novembre 2006 doit-il être interprété comme excluant l’application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraisons de terrains à bâtir dans les deux hypothèses suivantes :

— lorsque ces terrains, acquis non bâtis, sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains à bâtir ;

— lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles que leur division en lots ou la réalisation de travaux permettant leur desserte par divers réseaux (voirie, eau potable, électricité, gaz, assainissement, télécommunications) ».

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu le 30 septembre 2021 (CJUE 30 Septembre 2021, Aff C-299/20 Icade Promotion SAS, JCP N N° 40 du 8 Octobre 2021, Actualités N° 932) dans lequel elle considère :

En premier lieu sur le régime applicable à l’acquisition du terrain :

que la TVA sur Marge est applicable à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque leur acquisition a été soumise à TVA, mais sans que le vendeur n’ait pu la déduire.

Mais que le régime de la TVA sur marge ne s’applique pas lorsque l’acquisition initiale n’a pas été soumise à TVA (hors champ ou exonérée), ce qui est le cas lorsque le revendeur achète son terrain auprès d’un particulier ; avec cependant une exception : La TVA sur marge s’appliquerait si le prix d’acquisition incorpore une TVA acquittée par le vendeur initial (et donc devenue définitive)

Cette position est contraire à la doctrine fiscale actuelle aux termes de laquelle le régime de la TVA sur marge s’applique « s’il est établi que l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction », et que n’a pas ouvert droit à déduction une acquisition d’immeuble réalisée auprès d’un non-assujetti ou une acquisition exonérée de TVA.

En second lieu sur la condition d’identité entre le bien acquis et le bien revendu (consécration du critère de l’identité juridique, et exclusion du critère de l’identité physique). En effet la cour juge :

que sont exclut du régime de la TVA sur la marge « des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, des terrains bâtis, » ; ils ont changé de nature juridique.

Mais que le régime de la TVA sur la marge n’est pas exclu dans les opérations « de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l’objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l’assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu’une division en lots ou la réalisation de travaux d’aménagement permettant l’installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l’instar, notamment, des réseaux de gaz et d’électricité ».

En conséquence la réalisation d’aménagements tels qu’une division parcellaire ou des travaux de viabilisation n’est pas de nature à empêcher l’application du régime de la marge. Le régime de la TVA sur marge ne requière donc pas une identité physique, le terrain peut avoir été « travaillé » par le vendeur (viabilisation, divisions….), mais il faut qu’i y ait identité juridique entre l’acquisition et la revente (les terrains doivent avoir été acquis comme terrains à bâtir)

Cette décision est transposable au régime de la TVA sur marge résultant de la réforme de la TVA immobilière intervenue en 2010.

Restent à attendre les commentaires de l’administration. Dans une réponse ministérielle (Rep Min N° 42486 JOANQ 1er fevrier 2022 P 702, JCP N N° 6 du 11 février 2022, Actualités N° 261) le gouvernement sécurise « temporairement » le régime actuel de la TVA sur marge, en rappelant que tant que la mise à jour de la documentation fiscale n’aura pas intégré cette jurisprudence et la jurisprudence des juges nationaux, les contribuables de bonne foi peuvent se prévaloir de l’interprétation actuelle (art L 80 A du livre de procédure fiscale). Le gouvernement précise également que la mise à jour ç intervenir, ne sera pas applicable aux opérations pour lesquelles l’acquisition du bien est intervenue ou a fait l’objet d’un compromis de vente antérieur à cette publication.

Par Jean-Jacques Eyrolles, Notaire à Aix-en-Provence

Publié sur https://eyrolles-andre-aixenprovence.notaires.fr/terrain-a-batir-tva-sur-marge/

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